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blie pas, non plus, qu’il a déjà été acquitté. D’ailleurs, les radicaux font fi des jugements rendus contre eux et ne parlent que de ceux qui sont en leur faveur, montrant bien par cette contradiction le peu de cas qu’ils font de la justice. Et puis, un jugement n’est pas un arrêt du Père Eternel, il peut être cassé par la cour d’appel. Dans le jugement dont tu parles, Rivard n’a été condamné que parce qu’on l’a, à tort, empêché de faire sa preuve : ça te montre ce qu’il vaut ce jugement-là. Serais-tu, par hasard, avec ceux qui croient qu’il faut laisser les hypocrites faire le mal, pourvu qu’ils aient l’air respectables.

Soucy et Édouard causaient ainsi, en attendant le cours de cinq heures.

— Oui, mais si ce jugement n’est pas bon, tous les jugements pourraient bien être mauvais ?

— Par exemple ! ça prouve simplement que parmi les juges il y en a — mais en nombre très restreint — qui demeurent hommes et qui se trompent ; c’est bien dommage, mais c’est tout ce que ça prouve.

À la vérité, Édouard défendait Rivard, mais ne savait trop que penser.

Justement, son voisin au cours, Louis Ricard, connaissait bien Rivard ; il résolut de s’en ouvrir à lui.

Louis Ricard était un étudiant qui avait fait du journalisme. Garçon intelligent, il était bien renseigné sur toute chose. Peu doué du côté physique, il devait à son beau caractère seul et à son intelligence supérieurement cultivée l’estime où il était tenu par tous et la position à part qu’il occupait chez les étudiants et dans le monde des lettres. Édouard le connaissait peu et il devait, plus tard, se féliciter du hasard qui les fit se rapprocher ; car Ricard était un ami au commerce duquel on gagnait beaucoup : sa conversation, débordante de savoir, faisait naître des idées fécondes ; et, à son contact, on prenait le goût de l’étude et des choses de l’esprit.

Édouard l’aborda, au sortir du cours, avec la cordialité sans cérémonie qui existe entre les étudiants.

Ils parlèrent de choses indifférentes ; puis, il lui demanda : dites donc, vous connaissez Jean-Baptiste Rivard, le directeur de “ la Justice ?

— Je crois bien, c’est un de mes meilleurs amis.

— Cela tombe bien ; j’ai justement eu une discussion à son sujet avec un de mes amis ; j’ai soutenu que Rivard avait raison en tout et partout et je crois en effet qu’il a raison dans sa lutte actuelle contre le gouvernement radical, mais je me demande quel motif le fait agir ?

— Je pourrais vous dire que c’est le désintéressement et l’amour de la vérité et de la justice, mais j’aime mieux vous montrer quel homme c’est. Vous pourrez mieux juger ensuite de l’exactitude de ses dires et de la noblesse de ses motifs. Seulement, il est un peu tard : venez donc à ma chambre, ce soir, nous causerons.

— Volontiers, dit Édouard.

— Au revoir, à tout à l’heure.

— Au revoir.

À sept heures et demie, Édouard était rendu chez Ricard. La chambre de celui-ci était remplie, dans une ordonnance bien soignée, de livres, de journaux et de brochures.

Un crachoir était à terre, mais uniquement par souci de l’hospitalité, car il n’y avait ni pipes ni tabac : Ricard ne fumait point.

Les premiers bonjours échangés, il dit à Édouard : asseyez-vous là, je vais vous faire une conférence sur Ricard.

Je crois être utile à la cause pour laquelle il travaille en le faisant connaître, admirer et estimer par tous mes amis.