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quiéter : arriver d’abord… D’ailleurs, y avait-il lieu de tant craindre ?

Saint-Hyacinthe… Drummondville…

Lévis… dans l’obscurité, par de là le cours sombre du Fleuve, Québec, escarpé et lumineux.

La cloche sonne : on part ; Saint-Germain approche rapidement.

Édouard compte les gares : six… cinq… trois… deux… une…

Il ne vit plus.

Dans la nuit, il devine le Fleuve ; voici les abords du village : il reconnaît vaguement les maisons.

On passe sur un petit ponceau, distant de deux arpents de Saint-Germain.

La gare !

Que va-t-il apprendre ?

Il met son paletot, rassemble ses bagages et, le cœur serré, descend du char.

Une voix l’appelle : « Édouard ».

Son cœur se fond ; et, riant et pleurant en même temps, il se trouve dans les bras de son père…

Madame Leblanc pleure, elle-même ; Marie-Louise, les larmes aux yeux, rit de bonheur…

Une voiture les attend ; quand Édouard s’y trouve, assis entre son père, sa mère et sa sœur, il ne peut croire à sa félicité.

Il retrouve la parole, pour demander : me direz-vous ce que cela signifie ?

Le bonheur n’a que peu de mots ; mais on se décide enfin à parler.

Tu as dû être bien effrayé, en recevant mon télégramme, dit Marie-Louise.

— Je n’ai su que penser : j’étais affreusement inquiet…

— Imagine-toi que, la nuit dernière, vers les deux heures, papa s’est senti mal : maman a été si effrayée que nous avons appelé le docteur et monsieur le curé. Le docteur n’a su que penser ; il est demeuré jusqu’à ce que papa prenne du mieux ; quand il est parti, je lui ai demandé de se charger de mon télégramme. Dans la journée papa s’est reposé ; et, ce soir, il se trouvait si bien qu’il a voulu venir au-devant de toi, pour que tu sois inquiet moins longtemps.

— Merci, papa, dit Édouard, en tendant la main à son père ; mais j’aurais préféré être inquiet plus longtemps et que vous ne vous fatiguiez pas pour moi.

— Je ne suis pas fatigué du tout mon garçon, je suis très bien ; je ne sais, en vérité, ce que j’ai eu.

La voiture s’arrêta devant la maison. Le cocher dit bonsoir à tout le monde, avec cette familiarité respectueuse et cordiale qui existe à la campagne, et il s’éloigna en chantant.

On monta les quelques marches du perron, et quand, la porte refermée, en présence d’un bon feu, on fut réuni ensemble, il sembla que, dans cette chaude intimité, il n’y eut plus de place pour le malheur.

Tu vas prendre quelque chose, dit Marie-Louise.

— S’il vous plaît, répondit Édouard : je n’ai pas beaucoup mangé, aujourd’hui.

Pauvre garçon, va, dit madame Leblanc.

Édouard s’attabla et tous trois le regardaient avec satisfaction se restaurer avec du pain, du beurre et de la viande froide, qu’il arrosait de bon lait frais.

Que c’est bon, ne put-il s’empêcher de dire…

— Tu es affamé ?

— Absolument, ma petite Marie-Louise : je le suis ; je n’ai pas eu le temps de l’être pendant la journée.

— Je te comprends bien.

— Ne mange pas trop vite, dit M. Leblanc, ou c’est toi qui va être ma-