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ard se trouva dans la rue.

Il suivit, avec un ami, la rue Saint-Denis.

En passant devant l’église Saint-Jacques, ils soulevèrent respectueusement leurs chapeaux.

Ils parlaient du cours. Souvent, au beau milieu d’une dissertation légale, le doyen s’interrompait pour faire une digression, qui l’emportait fort loin de son sujet et qui intéressait les élèves, au suprême degré.

Il se laissait alors conduire par sa féconde imagination et son noble cœur que l’âge n’avait fait que rendre plus compatissant aux misères humaines ; et sa vaste science, alimentée par les travaux incessants d’une longue vie, lui dictait de ces paroles, qui sont à proprement parler celles de la sagesse, et que ceux qui les entendent gardent longtemps comme un trésor précieux.

Ce soir-là, traitant de la question des salaires des ouvriers et de leurs privilèges, il s’était apitoyé sur la misère du peuple et avait trouvé, pour en parler, des accents véritablement pathétiques. « Je voudrais, » disait-il, « que du moins, ces pauvres gens, quand l’âge et l’usure de leurs forces les ont rendus incapables de travailler, fussent assurés de leur subsistance, qu’ils eussent de quoi étancher leur soif, apaiser leur faim, et que le cimetière ne fut pas le premier endroit ils pussent reposer leurs pauvres membres, qui ont fatigué si longtemps pour l’entretien de leur misérable vie et pour le bien commun. »

Il avait parlé de philantropie et de charité ; et, à cette heure, en gravissant la côte de la rue Saint-Denis, Édouard et son ami s’entretenaient de ces graves sujets et parlaient de charité d’état et de charité privée.

Ils allaient, entre les jolies maisonnettes qui bordent le côté est de la rue et les édifices superbes qui ont remplacé les vieilles constructions pittoresques et attachantes qui s’élevaient, il n’y a pas encore très longtemps, à la Montée-du-Zouave, et ils agitaient, entre eux, ces problèmes, dont l’examen fortifie le cœur et mûrit l’esprit.

Ils se quittèrent à l’angle de la rue Sherbrooke. Édouard arriva seul à sa chambre, non sans avoir jeté à la masse verte de la montagne, en passant devant le frais jardin qu’est le carré Saint-Louis, un long regard de campagnard exilé.

Après souper, il alla passer quelques minutes chez un ami ; ensuite, il revint travailler.


CHAPITRE V.

Pleurs et rires


Il dormait encore, d’un sommeil calme et sans rêve, quand on frappa à sa porte.

Édouard se faisait généralement réveiller à sept heures, seulement ; aussi fut-il étonné et vaguement inquiet en constatant qu’il faisait encore nuit, et en entendant sonner, au même moment, cinq heures.

Qu’est-ce que c’est, demanda-t-il ?

— Un télégramme.

Il fit de la lumière, enfila prestement son pantalon, alla prendre le télégramme et remercia.

Il lut :

« Papa malade, pas de danger immédiat, mais descends vite. »

Marie-Louise.

Édouard aimait tendrement son père.

De plus, jamais il n’avait vu dans son entourage immédiat la maladie ni la mort.

Or, ceux que le malheur frappe pour la première fois sont plus sensibles à ses coups. — Plus tard, sans cesser d’être douloureux, ces coups, s’ils nous