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— La vie est chère, mon vieux : il faut bien que les députés et les échevins vivent.

— Ils vivent ; et il y en a qui se font un joli revenu, je te prie de le croire.

— Tout ça, c’est pas comme les journalistes.

— Qu’est-ce qu’ils ont les journalistes, demanda Édouard ?

— Des profits.

— Oh ! par exemple, je ne te crois pas.

— Tu penses ?

— J’en suis bien certain : comment veux-tu qu’ils arrachent de l’argent aux gens ? de quelle manière peuvent-ils s’acquitter ?

— En favorisant ceux qui payent, dans leurs journaux.

— Oui, mais ce n’est pas les petits reporters qui peuvent faire ça.

— C’est vrai.

— Oh ! c’est sûr que les boss se la coulent douce, eux : ça explique comment un journal comme l’Indépendant n’est en réalité, indépendant qu’à l’égard de ceux qui n’ont ni pouvoir ni argent. Les autres, il fait de l’argent avec eux et devient leur serviteur.

— Non, dit Lavoie, les reporters, eux, et les petits employés ne font pas grand argent : ils regardent leur boss manger des huîtres et c’est tout ce qu’ils ont.

J’ai une de mes connaissances qui est reporter à l’Indépendant : il m’a conté comment ça se passe. C’est lui qui fait les rapports des assemblées d’Ollivier. Au commencement, l’Indépendant, sans doute, pour mieux renseigner le peuple, qu’il amuse et qu’il trompe ignoblement, ne parlait pas du tout de ces assemblées : c’est commode d’être indépendant. Mais, il a compris qu’il ne pouvait pas continuer ce jeu-là longtemps et, maintenant, il rend compte des assemblées. Seulement il a ordonné à mon reporter de toujours dire qu’Ollivier a eu le dessous dans les débats. Comme c’est toujours Ollivier, au contraire, qui a le dessus, ça ne m’étonnerait pas que l’Indépendant finisse par être en sa faveur.

— Quel sale journal !

— Ce n’est pas étonnant, dit Lavoie ; une institution pareille emploie surtout des canailles ; et ces canailles, à leur tour, la rendent encore pire. Il y a quelques braves gens, à l’Indépendant, ils endurent et gagnent leur vie, en se salissant le moins possible ; quelques-uns sont de bonne foi, et leur naïveté leur fait tout avaler ; mais les autres,.. ils n’ont ni foi, ni loi : je dis bien, vous m’entendez : ni foi, ni loi. Ils ne croient à rien ; et, par-dessus le marché, ils ne sont pas même honnêtes.

— Quelle infecte boutique !

C’est au bout du corridor où se trouvent les appartements du vice-recteur et du secrétaire, que les quatre étudiants s’étaient arrêtés pour discuter.

Ils étaient si animés et si bien pris par leur discussion, que le cours avait commencé sans eux.

Édouard s’aperçut, le premier, que tous les étudiants, qui s’étaient massés près de la porte étaient entrés dans la salle de cours. Il sauta à bas du calorifère où il s’était assis sans cérémonie ; et tous les quatre coururent à l’autre bout du corridor.

Ils ouvrirent, discrètement, et pénétrèrent en tapinois dans la salle. Pas assez sourdement, cependant, pour que le dernier entré n’obtint pas du professeur un regard courroucé.

Édouard, qui n’avait pas coutume d’être en retard, se mit à suivre le cours. Il notait chaque article ; puis, à la suite du numéro de l’article, il écrivait ce qu’il pensait le plus important de retenir.

Le cours ne fut pas très long, ce soir-là : à six heures moins, dix, Édou-