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Le voisin d’Édouard l’interrompit dans sa lecture, pour lui demander une explication. Édouard approfondit le texte en question, du mieux qu’il put, puis il se rencoigna dans sa chaise.

Des voix se faisaient entendre, au travers des fenêtres de la bibliothèque qui donnent sur la ruelle allant de la rue Saint-Denis à la petite rue Notre-Dame-de-Lourdes. Les allées et venues devenaient plus fréquentes et la porte était plus souvent entr’ouverte, et plus bruyamment.

À l’entrée d’un groupe de cinq ou six gais lurons, qui tenaient de joyeux propos, tout travail cessa ; la conversation devint générale et les rires aussi. — Des rires frais et sonores, faits de gaîté sans arrière pensée et de belle jeunesse.

C’était presque l’heure du cours.

Le bibliothécaire, avec plus ou moins de brusquerie, mit à la porte de la bibliothèque ses confrères, qui s’y prêtèrent, du reste, de bonne grâce.

On monta à l’étage supérieur et l’on arpenta le corridor, deux par deux, quatre par quatre.

La meilleure comparaison pour peindre l’aspect animé que présentait l’Université est bien celle d’un concert-promenade où tous les promeneurs seraient des étudiants, et où leurs rires et leurs éclats de voix formeraient le concert.

Auguste Lavoie et Joseph Soucy marchaient, avec Édouard entre eux ; comme ils tournaient à la tête de l’escalier qui descend à la bibliothèque, l’appariteur appela Soucy, pour lui communiquer le résultat d’un examen. Lavoie et Édouard joignirent alors deux autres étudiants et continuèrent à marcher.

L’un des étudiants racontait — avec le mystère de l’importance qu’on met à narrer ces choses-là — une conversation qu’il avait entendue.

J’étais, disait-il, dans l’ascenseur, au Palais de justice, en même temps que le juge Berthelot et Xavier Cloutier.

— Qui est-ce ça, Xavier Cloutier, demanda Édouard ?

— C’est un avocat. Il parlait d’Ollivier avec le juge ; et le juge disait que, quoiqu’un radical lui-même, il applaudissait à la campagne d’Ollivier : « Tout est pourri, tout est vermoulu, » disait-il : « si le peuple savait ce qui se passe à Québec, il partirait, avec des pics et des pioches pour démolir le Parlement. Si la lutte que fait Ollivier au gouvernement avait pour résultat de faire diminuer la corruption et de secouer un peu les gens, ce serait un progrès immense. »

Le juge Berthelot a dit ça, se récria Lavoie.

— Penses-tu que je l’ai inventé : c’est authentique.

— Ce n’est pas si étonnant après tout, dit l’un.

— Ce qui me surprend, c’est qu’il ait osé parler comme cela… Je sais bien que c’est vrai : notre gouvernement repose sur le boodlage.

— Oh ! oh !

— Qu’est-ce qu’il te faut pour te convaincre, donc : est-ce que la plupart des ministres ne tombent pas, sur la dénonciation d’un scandale ? C’est donc qu’ils tripotent, tout le temps, en cachette. De temps à autre, ça devient connu ; et, alors, il faut décoller !

— Ce n’est pas rien qu’à Québec que ça se passe ainsi : notre hôtel-de-ville est un petit gouvernement, sous ce rapport-là. Encouragements aux trusts, moyennant finance ; exploitation du peuple et pots-de-vin, rien n’y manque : je connais un individu qui a payé quatre cents piastres pour obtenir une fonction ; mais, c’est cher ; le prix ordinaire est de trois cents seulement.