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tendu, plus d’un ancien étudiant s’apercevrait que l’âge a modifié ses idées et serait étonné d’avoir pu confier de pareilles choses aux échos du grand corridor.

Édouard travaille plus fort que d’habitude, ce matin. C’est pourtant un des heureux qui n’ont aucun examen en arrière et il connaît joliment son droit : qu’a-t-il donc ?

Onze heures. D’habitude, il ne s’arrête de travailler qu’à midi ; pourquoi donc referme-t-il ses livres et met-il déjà ses cahiers de notes de côté ?

Sa main, qui cherche le papier à lettres et les enveloppes, indique la cause de ce manquement à ses habitudes.

Il écrit sur l’enveloppe : Mademoiselle Marie-Louise Leblanc, St-Germain, P. Q., puis il se lève et fait quelques pas dans sa chambre. Il est dur pour un jeune homme de vingt-quatre ans de demeurer, chaque jour, dix heures assis dans une chambre close.

Édouard marcha cinq minutes pour se reposer de l’immobilité.

Alors son visage prit un air caressant et sa main écrivit :
Chère petite sœur,

Je voudrais bien que ceux qui prétendent qu’il faut travailler des bras pour vraiment travailler et que les bonnes gens qui ont encore le préjugé de croire que ceux qui ne travaillent que de la tête sont des bons à rien, je voudrais, dis-je, que ceux-là fussent à ma place.

Je leur prédis un fameux mal de tête.

Mais, s’ils écrivaient à une bonne petite sœur comme toi, je suis certain que ça dissiperait leur mal, tout comme ça me repose, moi de t’écrire.

Ta lettre m’a fait penser à la maison. Pour me consoler un peu de n’y pas être, nous allons convenir que je n’écris pas, mais que je parle et que nous sommes, tous deux, installés, pour jaser, sur le vieux canapé de la salle à manger.

Maintenant, causons.

Comme je te l’ai dit, je mène une vie fort paisible, depuis mon arrivée en Ville. Ce vilain code, dont tu me parles, est devenu mon ami intime. Le fait est qu’il ne me reste plus qu’à dormir et à manger avec lui pour qu’il ne me quitte pas du tout : je l’ai tout le reste du temps.

Ça ne va pas mal : je suis au-dessus de mes affaires et j’ai bon espoir pour janvier.

Mais laissons, si tu veux, le droit et parlons d’autres choses : de mademoiselle Blanche Coutu, par exemple… En bonne vérité, ma chère Marie-Louise, où as-tu la tête de me faire penser aux jeunes filles, alors que le code doit être, pour le moment, mon unique amour et ma seule flamme.

Tu me parles de ma pauvre chambre vide et des petits soins que tu lui donnes en souvenir de moi : à la bonne heure : ça ! ça me fait plaisir. Je t’assure que je trouverai bien tout ce que tu auras fait et que j’ai hâte au retour.

Je suis allé au théâtre, avant hier, avec Lavoie et Soucy ; nous avons parlé de Saint-Germain, pendant les entr’actes, et mes amis ont déclaré qu’il fallait aller à Saint-Germain pour trouver des gens aimables. S’ils avaient dit qu’il fallait aller à Saint-Germain pour trouver du joli monde, tu aurais pris cela pour toi, je suppose.

Je n’ai guère le loisir de lire, de ce temps-ci, et cela me fait de la peine. Je me dédommage un peu en recherchant la littérature parlée : je vais de temps à autre au cours de littérature française, qui se donne à l’université Laval. C’est très intéressant.

L’auditoire est composé exclusivement de prêtres, d’enfants, de jeunes et vieilles filles.