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L’ENVERS DU JOURNALISME

teur, qui ne se doutait pas de la rivalité qu’il y avait entre les journaux, disait innocemment : « ne pourriez-vous pas me remettre le portrait, quand vous l’aurez photographié pour votre journal, afin que j’aille le porter à l’autre journal ? » — C’était assez pour qu’il ne revît jamais son portrait. Martin le prenait et lui disait : « nous l’enverrons porter nous-mêmes, aussitôt que nous en aurons fini ». Si le visiteur, soupçonneux, disait : « j’aimerais mieux aller le porter moi-même », Martin lui répondait : « c’est bien, venez le chercher à deux heures. » — À deux heures, il est trop tard pour préparer des vignettes, et Martin publiait seul dans son journal les traits du défunt, pendant que le parent pestait contre l’autre journal, qui n’avait pas voulu publier le portrait parce qu’on l’avait apporté trop tard.

La multiplicité des corvées confiée à un reporter a quelquefois un résultat inattendu. Quand il est devenu assez expérimenté pour faire un compte rendu de « chic », c’est-à-dire sans assister à l’assemblée, à la fête ou à la cérémonie dont il a à parler, il n’y va pas et fait son compte rendu quand même.

Cet excès de confiance peut avoir des résultats fâcheux et tel reporter, qui a écrit de « chic » le compte rendu d’une assemblée à laquelle il ne s’était pas rendu et qui avait été contremandée sans qu’il le sût, a été congédié le lendemain même.

Martin ne s’exposait pas à des désagréments de ce genre et le seul compte rendu qu’il écrivît jamais de « chic » fut celui d’un bal de vieilles filles auquel