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pects avant de goûter les charmes de la représentation si pompeusement annoncée. Une musique étourdissante servit d’ouverture à la pièce. L’orchestre se distingua par un bruit épouvantable et par une absence complète d’harmonie, plutôt que par la variété de son répertoire. La même phrase musicale nous fut jouée pendant cinq heures d’horloge, au grand contentement du roi et de ses courtisans. Je croirais volontiers que toute la science musicale de Siam se borne à ce terrible air ; car les autres représentations auxquelles j’ai été condamné d’assister ailleurs m’ont toujours fait entendre ces notes uniques et discordantes. Enfin la pièce commença ; une foule d’acteurs et d’actrices s’élancèrent sur la scène vêtus des costumes les plus bizarres qu’on puisse imaginer. Les soieries brodées d’or dans lesquelles ils se drapaient, les bonnets coniques ornés de pierres fausses et de verroteries qu’ils portaient fièrement sur leur tête, offraient un coup d’œil saisissant et curieux. Quant à leur jeu, on ne peut rien imaginer de plus simple ; il consiste presque uniquement en une pantomime originale sans doute, mais assez disgracieuse, que relève un chœur criard, placé à peu de distance des acteurs. Ce que l’on joua, je ne puis le dire ; tout ce que je compris fut une chasse au cerf des plus puériles. Un acteur coiffé d’une tête de cerf s’élance sur la scène ; on le poursuit pendant quelques secondes, on l’atteint, on le tue, on l’emporte, on le fait cuire et on le mange sur la scène ; tout cela en moins de temps que je n’en mets à l’écrire. La mésaventure de cet Actéon siamois n’était cependant pas la catastrophe dernière du drame ; sa représentation durait depuis six heures, lorsque,