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montagnes dont il a rongé la base pour creuser son lit ; ici, ses eaux sont boueuses et jaunâtres comme l’Arno à Florence, mais rapides, comme un torrent ; c’est un spectacle vraiment grandiose.

J’étais fatigué de cette longue marche à dos d’éléphants, et je désirais prendre un bateau ; mais le chef et les habitants du village, craignant qu’il ne m’arrivât quelque malheur, me conseillèrent de continuer ma route de la même manière. J’allai donc par terre jusqu’à Thodua, quatre-vingt-dix milles plus au nord ; et pendant huit jours je passai, comme précédemment de vallée en vallée, franchissant des montagnes de plus en plus élevées, et où nous fûmes encore davantage tourmentés par les sangsues. Mais, au moins, je n’eus plus à coucher dans les jungles : tous les soirs, nous atteignions un hameau ou un village où nous trouvions pour abri le toit d’un caravansérail ou celui d’un pagode. Mais, hélas ! dans ce dernier et saint asile, nous ne pouvions goûter guère plus de repos qu’en rase campagne. Les prêtres laotiens sont continuellement en prières dans les cours de leurs pagodes ; ils font, jour et nuit, un charivari affreux en psalmodiant sur tous les tons. Si le salut de l’âme se conquiert par le bruit, ils doivent nécessairement aller directement en paradis.

Je n’ai rencontré qu’un village où les tigres commissent de sérieux ravages. Mais un autre danger, qui peut devenir sérieux quelquefois dans ces lieux escarpés, c’est que souvent il se trouve parmi les éléphants de la caravane une ou deux femelles suivies de leurs petits ; et comme ceux-ci trottent et