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barbare. Le roi, après avoir tenu secrètement son conseil, envoie un de ses officiers près de la porte qu’il veut construire. Cet officier a l’air, de temps en temps, de vouloir appeler quelqu’un ; il répète plusieurs fois le nom que l’on veut donner à cette porte. Il arrive plus d’une fois que les passants, entendant crier après eux, tournent la tête ; à l’instant l’officier, aidé d’autres hommes apostés tout auprès, arrêtent trois de ceux qui ont regardé. Leur mort est dès lors irrévocablement résolue ; aucun service, aucune promesse, aucun sacrifice ne peut les délivrer. On pratique dans l’intérieur de la porte une fosse ; on place par-dessus, à une certaine hauteur, une énorme poutre ; cette poutre est soutenue par deux cordes et suspendue horizontalement, à peu près comme celle dont on se sert dans les pressoirs. Au jour marqué pour ce fatal et horrible sacrifice, on donne un repas splendide aux trois infortunés. On les conduit ensuite en cérémonie à la fatale fosse. Le roi et toute la cour viennent les saluer. Le roi les charge, en son particulier, de bien garder la porte qui va leur être confiée, et de ne pas manquer d’avertir si les ennemis ou les rebelles se présentaient pour prendre la ville. À l’instant on coupe les cordes, et les malheureuses victimes de la superstition sont écrasées sous la lourde masse qui tombe sur leur tête. Les Siamois croient que ces infortunés sont métamorphosés en ces génies qu’ils appellent phi. De simples particuliers commettent quelquefois cet horrible homicide sur la personne de leurs esclaves, pour les établir gardiens, comme ils disent, du trésor qu’ils ont enfoui. »