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merveilleux sang-froid, à la première incitation du besoin ! Voilà des époux modèles, vivant dans le calme de l’union la plus exemplaire, et sur lesquels surtout plane incessamment la pensée qu’à un moment donné le mari pourra liquider quelque compte usuraire avec la liberté, la personne même de sa compagne !… Ah ! la philosophie a beau étudier le cœur humain et fouiller ses replis, elle ne saura jamais combien de contrastes il recèle et quelle pâte malléable il offre aux institutions sociales, surtout aux mauvaises.

Nés de la rencontre de deux courants de populations venus de l’Occident et du Nord, les Siamois ont conservé intactes toutes les superstitions des Indous et des Chinois, en dépit des prescriptions du boudhisme, qui a cherché en vain à les en délivrer. Ils croient à tous les démons crochus, cornus, chevelus de la mythologie du Céleste Empire ; ils ont la foi la plus complète dans l’existence des sirènes, des ogres, des géants, des nymphes des bois et des montagnes, des génies du feu, de l’eau et de l’air, et enfin de tous les monstres fabuleux de l’antique panthéon, ou plutôt pandémonium brahmanique, depuis les naghas ou serpents divins qui vomissent des flammes, jusqu’à l’aigle garouda qui enlève les hommes. Ils croient également aux amulettes, qui rendent invulnérables, qui donnent la santé, la fécondité, ou écartent le mauvais sort et le mauvais œil ; aux philtres qui inspirent l’amour ou la haine, etc., etc., et enfin, petits et grands, peuple et roi font vivre à leurs dépens une foule d’astrologues et de devins qui prédisent la pluie ou la sécheresse, la paix ou la guerre, les bonnes ou