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épaisse. Je n’ai rien qui pourrait effrayer les démons qui l’habitent, ni dents de tigre, ni cornes de cerf rabougries, aucun talisman enfin, que mon amour pour la science et ma croyance en Dieu. Si je dois mourir ici, quand l’heure sonnera je serai prêt.

Il y a dans le repos de cette forêt, dans le calme de cette puissante nature tropicale, quelque chose d’une majesté indéfinissable qui à cette heure de la nuit (minuit) fait sur moi une impression profonde. Le ciel est serein, l’air frais ; les rayons de la lune ne pénètrent qu’à travers les branches et les feuilles des arbres, et n’éclairent çà et là que quelques coins du sol, qu’on dirait des lambeaux de papier dispersés par le vent ; pas le moindre souffle ne fait bruire les arbres, et rien ne troublerait ce silence imposant sans quelques feuilles mortes qui tombent de branche en branche avec un petit bruit sec, le murmure d’un ruisseau qui coule à mes pieds sur un lit de cailloux, quelques grenouilles qui se répondent de distance en distance, et dont le coassement ressemble à l’aboiement rauque d’un chien. De temps en temps quelque oiseau de nuit, des chauves-souris, s’approchent, attirées par la flamme de la torche qui brûle attachée à une branche de l’arbre sous lequel j’ai étendu ma peau de tigre ; puis, à de longs intervalles, retentit le cri plus ou moins rapproché d’une panthère qui appelle son mâle, et auquel répondent, par des grognements au sommet des arbres, des chimpanzés dont elles troublent le repos.

Un sabre d’une main et une torche de l’autre, Phraï poursuit des poissons dans le ruisseau ; son ombre