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le tuer, ou tout au moins à lui briser l’autre épaule pour le mettre dans l’impossibilité de nous faire du mal. Une seconde décharge, qui le frappa dans la région du cœur, l’acheva presque instantanément.

L’effroi, la crainte et l’émotion de mes deux pauvres garçons réveillés en sursaut par la première détonation de mon arme, si près de leurs oreilles, ne peuvent se comparer qu’au plaisir qu’ils éprouvèrent en voyant l’animal étendu sans vie à leurs pieds.

Je pouvais regarder cette aventure comme une étrenne du nouvel an, car nous sommes au dernier jour de décembre.

Encore une année écoulée, année semée pour moi, comme pour tous, de joies, d’inquiétudes et de peines, et aujourd’hui plus encore que les autres jours mes pensées se reportent sur le petit nombre d’êtres qui me sont chers. Plus d’un cœur ami, à cette heure, répond aux battements du mien ; j’en suis sûr, des vœux pour le pauvre voyageur s’élèvent à la fois et identiques des foyers de mon père, de ma femme et de mon frère, quelle que soit la distance qui les sépare. Tous désirent mon retour, m’écrit mon frère dans sa dernière lettre que mes amis de Bangkok viennent de m’envoyer, et pourtant je ne suis qu’au début de ma nouvelle campagne : serait-ce d’un bon soldat de prendre son congé à la veille d’une bataille ? Je suis aux portes de l’enfer, comme appellent cette forêt les Laotiens et les Siamois. Tous les êtres mystérieux de cet empire de la mort semé des ossements de tant de pauvres voyageurs, dorment profondément sous cette voûte