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Tous les jours, nous organisons une nouvelle chasse dans les forêts ; et cependant ici, quand on ne croit chasser qu’aux insectes ou aux oiseaux, il arrive que le bruit de la voix, ou la détonation de nos fusils dans ces profondes solitudes, répétés par les échos de la montagne, fait sortir les animaux féroces de leurs repaires. Hier, après une chasse assez longue et fatigante dans laquelle nous avions tué quelques oiseaux et un ou deux singes, nous revenions fatigués, lorsque, arrivés à une petite éclaircie de la forêt, je dis à mes deux « boys[1] » de prendre un peu de repos au pied d’un arbre pendant que j’irais, de ma personne, à la recherche des insectes, etc. Tout à coup mon attention est éveillée par un bruit suspect, comme le piétinement d’un animal se glissant dans l’épais feuillage. Je relève aussitôt la tête, saisissant et armant en même temps mon fusil, et je me glisse légèrement derrière le grand arbre au pied duquel dorment mes hommes. Il était temps ! En ce moment même un beau et grand léopard prenait son élan pour franchir les broussailles et s’élancer sur un de mes domestiques, qui tous deux sommeillaient aussi paisiblement que s’ils eussent été dans notre hutte. Je n’eus pas une seconde à moi pour viser et presser la détente de mon arme, et l’animal, frappé de ma balle à l’épaule droite, alla rouler à plusieurs pas de distance, dans un inextricable buisson, après avoir décrit en l’air un bond d’une hauteur prodigieuse. Il n’était que blessé, et nous avions tout à craindre, si je ne réussissais à

  1. Le mot boy, qui veut dire garçon, est généralement employé en Angleterre pour désigner les domestiques mâles.