Page:Mouhot - Voyage dans les royaumes de Siam, de Cambodge, de Laos et autres parties centrales de l'Indo-Chine, éd. Lanoye, 1868.djvu/334

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nuit ; mais le matin, de bonne heure, j’allai débarquer devant la maison de Khun-Pakdy, le complaisant petit chef qui m’a accompagné il y a deux ans à Phrâbat. Le brave homme ne fut pas peu surpris en me voyant sortir de ma barque ; il en croyait à peine ses yeux, car il avait entendu dire que j’étais mort à Muang-Kabin. Nous renouvelâmes bien vite connaissance, et je vis avec plaisir comment son amitié, qu’un verre de cognac acheva d’exalter, avait résisté à l’épreuve du temps. Pauvre Khun-Pakdy ! si j’étais roi de Siam (ce qu’à Dieu ne plaise !), je te nommerais prince de Phrâbat, ou mieux je te céderais ma place.

À peine m’eut-il aperçu, qu’il donna immédiatement l’ordre qu’on me préparât à déjeuner ; puis, dès qu’il sut que je me dirigeais sur Kôrat, il se ressouvint qu’il m’avait promis de m’y accompagner si jamais je lui rapportais un fusil de Bangkok. « Ne fût-il que de trois ticaux, cela ferait mon affaire, » avait-il dit ; mais ne me voyant que des fusils à capsule comme par le passé : « Vous ne m’avez pas apporté de fusil, observa-t-il ; mais cela ne fait rien, j’irai avec vous quand même. Vive Kôrat ! là, nous ne mourrons pas de faim comme nous avons manqué de faire à Phrâbat ; on y a cent œufs pour un fuang, un porc pour une couple de ticaux. » Ce ne fut que lorsque je lui eus dit que je ne m’arrêterais probablement que très-peu de temps à Kôrat, et que j’irais plus loin dans des lieux où il faudra sans doute « serrer le ceinturon, » et que je ne souffrirais pas que par amitié pour moi il s’exposât à perdre son embonpoint de mandarin, que je parvins à mettre