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tam-tam. Oui ! l’imagination et le savoir aidant, il pourra graver dans son cerveau une image plus ou moins colorée de ces choses : mais le sol ébranlé sous les pieds de ces colosses effarouchés ; mais les taillis, les cépées, les futaies même disparaissant écrasés sous leurs flancs ; mais le clapotis et le remous des eaux soulevées par leur passage, qui lui en rendra jamais les saisissants effets ? Pour leur trouver des termes de comparaison, il faut avoir éprouvé la commotion d’un tremblement de terre, avoir suivi la course d’une trombe, avoir contemplé face à face une grande marée d’automne !

D’ailleurs, pour bien comprendre ce que les leçons de l’homme peuvent obtenir de l’intelligence des animaux, il faut avoir été témoin, comme je l’ai été en cette occasion, et du calme sang-froid des éléphants privés, chargés de côtoyer, à travers bois et fondrières, ruisseaux et torrents débordés, les lianes de la bande fugitive, afin de la maintenir dans la ligne prescrite, et des ruses calculées des femelles, qui, leur besogne de guides accomplie, et toutes les victimes de leur manège massées devant les murailles du kraal, font prestement demi-tour, et vont fortifier le cercle de leurs camarades, qui, à coups de trompes et de fronts et de flancs, forcent les pauvres sauvages à franchir la porte de la prison, jusqu’à ce qu’elle se ferme enfin sur le dernier d’entre eux.

Parti d’Ajuthia le 19 octobre 1860, dans la même embarcation qui m’avait amené jusque-là, j’étais le 20 à Tharua-Tristard, où je dus bivaquer à l’entrée du village, à cause de l’heure trop avancée de la