Page:Mouhot - Voyage dans les royaumes de Siam, de Cambodge, de Laos et autres parties centrales de l'Indo-Chine, éd. Lanoye, 1868.djvu/321

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jamais revenir, des centres de population où s’exerce la plus haute influence de cette grande corporation, je crois indispensable d’esquisser ici les principaux traits de sa physionomie, plusieurs années d’observations personnelles, fortifiées par les aveux d’un grand dignitaire de l’ordre, dont je fus l’hôte à Nophabury, m’ayant mis à même de contrôler, sur ce sujet, les témoignages de mes devanciers les mieux informés.

Les Européens désignent généralement les prêtres bouddhistes de Siam sous le nom de talapoins, qui dérive sans doute de celui du palmier talapat, dont la feuille fournit la matière première de l’éventail que ces religieux portent constamment à la main ; mais leurs compatriotes leur donnent le titre de Phra, qui a conservé sur les rives du Ménam les mêmes significations qu’il avait jadis sur les bords du Nil : celles de grand, divin et lumineux.

Quant à l’ordre pris en masse, il est difficile de le qualifier d’après nos idées préconçues. Ce n’est point une caste, car ses rangs sont ouverts à tout le monde, même aux esclaves autorisés de leurs maîtres, et en cela seulement l’ordre est resté fidèle aux préceptes de son fondateur[1]. On ne peut guère

  1. Si l’on ne peut affirmer que le prince indou Siddharta le Gotamide, ou Çakia Mouni, comme l’appelèrent plus tard les bouddhistes, ait attaqué de front le système des castes, on ne peut nier du moins qu’en appelant tous les hommes, sans distinction de rang et de naissance, à la vie ascétique et au salut qui en dérive, il n’ait sapé par la base le système lui-même. En prêchant l’égalité des devoirs, en promettant l’égalité dans la fin suprême, il émancipa moralement les petits et les humbles du joug des forts et des puissants, et renversa de fait les barrières que le brahmanisme multipliait