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lieues, et ces courses ont été effectuées sous des torrents de pluie. Depuis mon arrivée ici, il pleut presque continuellement ; mais j’ai à lutter constamment contre un plus cruel et plus odieux ennemi, qui ne m’a jamais tant fait souffrir qu’ici ; rien ne peut contre lui : coups d’éventail, coups de poing, coups de fusil ; il se fait tuer avec un courage digne d’un être plus noble. Je veux parler des moustiques. Des milliers de ces cruelles bêtes sont occupés jour et nuit à me sucer le sang ; mon corps, ma figure et mes mains ne sont que plaies et qu’ampoules.

Je préfère de beaucoup avoir affaire aux animaux sauvages des bois ; par moments, c’est à hurler de douleur et d’exaspération ; on ne peut s’imaginer quel fléau épouvantable sont ces affreux démons auxquels le Dante a oublié de donner un rôle dans son enfer. C’est avec peine que je puis me baigner, car, avant d’avoir puisé un seau d’eau, le corps en est couvert. Le naturaliste philosophe, qui nous montre ces petits vampires comme engendrés par la nature pour servir d’exemple de prévoyance et d’amour paternel à l’humanité, n’était sans doute pas couvert de piqûres et de sang au point d’en être presque aveuglé comme je le suis, lorsqu’il écrivait ces charmantes remarques ; et, quant à moi, je ne cesse d’envoyer au diable l’amour paternel de ces êtres intéressants. Dans les environs de Petchabury, je trouvai, à une distance d’une dizaine de milles a peu près, plusieurs villages habités par des Laotiens qui, établis là depuis deux ou trois générations, sont venus du nord-est du grand lac Sap et des bords du Mékong.