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l’emplacement du lac Touli-Sap, s’étendait autrefois une plaine fertile, au milieu de laquelle florissait une superbe cité. Un roi, pour s’amuser, élevait de petites mouches, tandis que le gourou ou instituteur des jeunes princes, ses fils, élevait lui-même des araignées. Il arriva qu’une des araignées mangea les mouches du roi, qui entra dans une grande colère et fit mettre le précepteur à mort. Ce dernier s’envola dans les airs, maudissant le roi et sa ville. À l’instant, la plaine fut submergée par le lac. La tradition ajoute que la statue de jaspe de Bouddha, qui est la gloire du temple, dans le palais du roi, à Bangkok, fut retrouvée, flottant à la surface du lac, entourée de lotus et portée par un yak ou bœuf thibétain.

Elle fut retirée de l’eau par les Siamois à Chieug-Rai, ville située au nord de Laos, et on construisit pour elle une pagode, autour de laquelle s’éleva plus tard la capitale actuelle du royaume de Siam.

Voilà les récits qu’inspire à la Clio de l’Indo-Chine l’aspect de monuments plus grandioses que ceux de Ninive et de Persépolis !

À cette pensée amère, à cette preuve ironique du néant des grandeurs humaines, que de fois me suis-je senti comme étreint par les rameaux de l’épaisse forêt qui encombre, presse, ensevelit les palais et les temples d’Ongkor, et quand le déclin du jour me surprenait au milieu de mes études et de mes réflexions, j’étais entraîné, comme un de mes devanciers en ce lieu, à comparer « les teintes que la nuit efface dans le paysage à celles de la vie des peuples quand la gloire et l’espérance cessent de lui prêter la magie de leurs couleurs. »