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se jeter dans la rivière, nager et plonger comme des poissons. C’était un spectable curieux et ravissant, surtout par la contraste qu’offrent les enfants avec les adultes. Ici comme dans toute la plaine de Siam que j’ai parcourue depuis, j’ai rencontré des enfants charmants que je me sentais porté à aimer et à caresser, tandis qu’arrivés à un certain âge, ils s’enlaidissent par l’usage du bétel qui noircit leurs dents et grossit leurs lèvres.

La situation même du pays tend un peu à rendre amphibies ses habitants. Toute la partie centrale du bassin de Ménam n’est qu’une plaine alluviale, coupée de canaux, et noyée annuellement pendant plusieurs mois ; nous étions déjà arrivés au centre de la cité populeuse que je me croyais encore à la campagne ; il me fallut la vue de plusieurs constructions européennes et celle des bateaux à vapeur qui sillonnent cette majestueuse rivière, dont les bords sont garnis de maisons et de boutiques flottantes, pour me rappeler à la réalité locale.

Nous jetâmes l’ancre en face de la cathédrale de la Mission française et du modeste palais de Mgr Pallegoix, ce digne archevêque qui, pendant près de trente ans, sans autre assistance que celle de quelques missionnaires dévoués comme lui, a su faire respecter dans ces régions lointaines le signe révéré du chrétien et le nom de la France.

La vue de la croix surtout, dans ces pays éloignés, fait le même bien au cœur que la rencontre d’un ami de vieille date. À sa vue, on se sent soulagé, on sait qu’on n’est plus seul. Le dévouement, l’abnégation de ces pauvres et bons missionnaires, pro-