Page:Mouhot - Voyage dans les royaumes de Siam, de Cambodge, de Laos et autres parties centrales de l'Indo-Chine, éd. Lanoye, 1868.djvu/218

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voir le jour à mon retour, soit que Dieu me réserve le bonheur de revoir ma patrie, soit que, tombé victime des fièvres ou d’un tigre affamé, je laisse à quelque bonne âme le soin de recueillir ces feuilles, barbouillées le plus souvent à la lueur d’une torche au pied d’un arbre, au milieu d’un tourbillon d’affreux moustiques.

Je passai trois mois à Brelum, rayonnant de ce centre hospitalier partout où m’entraînait l’ardeur de la chasse ou les exigences de l’étude. Celles-ci me poussèrent au nord, dans la vallée du grand fleuve, jusqu’à mi-chemin de Bassac, dans un district métallurgique où d’excellent minerai de fer attend l’industrie européenne. La chasse m’entraina souvent au sud-ouest, dans la zone forestière que les haines de races ont ménagée entre les tribus du Mékong et l’empire annamite, sorte de marche déserte dont les tigres seuls font la police.

Pendant ces trois mois, mes deux pauvres serviteurs furent presque constamment malades des fièvres. Je m’estime fort heureux d’avoir eu jusqu’ici la chance de conserver ma santé ; même dans ces forêts, je n’ai pas eu une seule attaque de fièvre. Dans la saison des pluies, l’air est d’une humidité et d’une pesanteur extrêmes ; au milieu des forêts les plus épaisses et où le soleil pénètre à peine, on se croirait dans une étuve, et au moindre exercice un peu violent je rentrais mouillé de transpiration. Pendant les mois de septembre et d’octobre, des pluies torrentielles tombèrent sans interruption le jour et la nuit. En juillet et août, nous n’avions guère eu que quelques violents orages, éclatant tous les deux ou