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la civilisation, M. Gordier, prêtre de beaucoup de mérite, provicaire de la mission du Cambodge et dont cette île forme la résidence.

Dès mon entrée dans la pauvre chapelle qu’il a fait construire lui-même, j’éprouvai une certaine compassion pour ce digne homme, envoyant la misère et le dénûment qui régnaient autour de moi. Depuis trois ans, le pauvre missionnaire souffre d’une dyssenterie passée à l’état chronique ; cependant il ne se plaint ni de ses privations ni de ses maladies ; la seule chose qui le peine, c’est le peu de chrétiens qu’il est appelé à baptiser, car les Cambodgiens sont fort attachés à leurs idoles.

« Mais vous, me dit-il, savez-vous où vous allez ? Je suis étonné qu’on vous ait laissé dépasser Pinhalù. Demandez aux Cambodgiens ce qu’ils pensent des forêts des Stiêngs, et proposez à quelqu’un d’ici de vous accompagner, personne ne vous suivra. Les pluies ont commencé, et vous allez au-devant d’une mort presque certaine, sinon d’une fièvre qui vous fera souffrir et languir des années. J’ai eu cette fièvre, la fièvre des djungles ; c’est quelque chose d’affreux, de terrible ; jusqu’au bout des ongles je ressentais une chaleur que je ne puis appeler autrement qu’infernale, puis succédait un froid glacial que rien ne pouvait réchauffer ; le plus souvent on y reste, comme tant de mes collègues que je pourrais nommer. »

Ces paroles étaient peu rassurantes ; cependant j’avais tracé mon itinéraire ; je savais que cette dangereuse région renferme des coquilles terrestres et