Page:Mouhot - Voyage dans les royaumes de Siam, de Cambodge, de Laos et autres parties centrales de l'Indo-Chine, éd. Lanoye, 1868.djvu/193

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’ennemi nous traiter de barbares, et, faisant retomber sur nous la responsabilité de faits partiels, sans doute inévitables en temps de guerre, et surtout dans un pays où le soldat souffre du climat et de privations de toute espèce, s’étonner, lui, le peuple le plus corrompu peut-être de tout l’Orient, de ne pas trouver en nous des hommes d’une supériorité morale aussi incontestable que notre supériorité intellectuelle et physique.

Le jour suivant, en descendant le fleuve jusqu’à l’extrémité sud de la ville, nous longeâmes comme une autre ville flottante, composée de plus de cinq cents bateaux, et pour la plupart d’assez grande dimension. Ils servent d’entrepôt à certains marchands et de résidence à d’autres. Par prudence, ils y laissent tout leur argent et la plus grande de leurs marchandises afin d’être, en cas d’alerte, toujours prêts à prendre le large.

Quelque temps après, nous voguions dans les eaux du Mékong, qui commençait seulement à grossir, car dans tout le pays la sécheresse avait été extrême et retardée de plus de deux mois.

Ce grand fleuve, dont le nom signifie « mères des fleuves, » me rappelait beaucoup le Ménam, à quelques lieues au nord de Bangkok ; mais son aspect est moins gai, quoiqu’il y ait quelque chose de très-imposant dans sa masse d’eau plus grande et se précipitant avec la rapidité d’un torrent. De rares embarcations, à peine distinctes d’un bord à l’autre, le côtoient péniblement ; ses rives, élevées de six à sept mètres en temps ordinaire, paraissent à peu près désertes, et les forêts ne se dessinent qu’à plus d’un mille par delà.