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— Comment cela ? je ne vous connais pas.

— Ton père me devait ; il ne m’a pas payé.

— Je n’ai jamais connu mon père ; il est mort avant ma naissance.

— Veux-tu plaider ! Nous plaiderons. »

L’homme en appelle à quelque mandarin, débute par offrir un présent, lui en promet un autre ; son procès est gagné, et la malheureuse, sans appui, devient l’esclave de son persécuteur. Cette antique histoire d’Appius et de Virginie se renouvelle fréquemment au Cambodge. Les Virginius seuls font défaut.

Depuis que j’avais mis le pied dans ce pays, la peur s’était emparée de mes domestiques ; elle fut à son comble quand je leur annonçai qu’il fallait partir pour visiter les tribus sauvages de Stiêngs, au-delà du grand fleuve. Le Cambodge est certainement très-redouté des Siamois ; les montagnes et surtout les forêts habitées par les Stiêngs ont, à cause de leur insalubrité, auprès des Cambodgiens et des Annamites, une réputation analogue à celle dont Cayenne jouit parmi nous.

Ces craintes ne pouvaient m’arrêter, et dès que j’eus reçu du roi de Cambodge la lettre qu’il m’avait promise, je quittai Pinhalù dans une petite barque conduite par deux rameurs, et me dirigeai vers le Mékong.

En descendant le cours d’eau qui y conduit, large d’à peu près douze cents mètres, je fus étonné de voir le flot remonter du sud au nord au lieu de descendre vers le fleuve dont il semble le tributaire.

Pendant près de cinq mois de l’année, le grand