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douzaine de jeunes femmes le remplissaient. Parmi celles-ci, j’en remarquai une dont les traits étaient délicats et même distingués ; vêtue moitié à l’européenne, moitié à l’annamite, et portant relevée toute sa longue chevelure noire, elle aurait passé pour une jolie fille en tous pays. C’était, je pense, la favorite du roi ; car non-seulement elle était mieux mise que les autres et couverte de bijoux, mais elle occupait la première place auprès du roi et prenait grand soin que rien ne blessât le corps de son vieil adorateur. Les autres femmes n’étaient que de grosses filles à la figure bouffie, aux traits vulgaires et aux dents noircies par l’usage de l’arack et du bétel. Derrière le bateau du roi venaient, sans ordre et à de longues distances, ceux de quelques mandarins que je ne pouvais distinguer du vulgaire ni par la mine ni par la tenue. Une barque seule, montée par des Chinois et commandée par un gros personnage de la même nation qui tenait levée une espèce de hallebarde surmontée d’un croissant, attira mon attention ; elle marchait en tête de l’escorte. C’était le fameux Mun-Suy, le chef des pirates et l’ami du roi. Voici ce que j’appris au sujet de cet individu :

À peu près deux ans auparavant, ce Chinois, obligé, par des méfaits que l’on ne connaît pas très-bien, de s’enfuir d’Amoy, sa patrie, arriva à Kampôt avec une centaine d’aventuriers, écumeurs de mer comme lui. Après y avoir passé quelque temps, faisant trembler tout le monde, extorquant, la menace à la bouche, tout ce qu’ils pouvaient aux gens du marché, ils conçurent le projet de s’emparer de la ville, de tout y mettre à feu et il sang, et de se re-