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jouaient, sur un petit théâtre monté pour cette occasion, des scènes dans le genre de celles de nos théâtres ambulants qui courent les foires. Cette fête, qui dura trois jours, n’avait rien qui rappelât une cérémonie funèbre, et il s’y fit une consommation énorme de poudre et d’arack. Je m’y étais rendu, pensant y voir quelque chose de nouveau et de curieux, car la crémation n’existe que chez très-peu de peuples, et on ne la pratique ici que pour les souverains, les princes et les personnages de rang élevé ; je n’avais pas songé que je serais moi-même un objet de curiosité pour la foule, ce qui arriva cependant.

À peine étais-je dans l’enceinte de la pagode, suivi de Phraï et de Niou, que de tous les côtés j’entendis répéter le mot : « Farang ! venez voir le farang ; » puis aussitôt Siamois et Chinois quittèrent leurs bols de riz pour se porter de notre côté. J’espérais qu’une fois leur curiosité satisfaite, ils me laisseraient circuler paisiblement ; mais loin de là, la foule grossissait de plus en plus et me suivait de quelque côté, que j’allasse, au point de devenir gênante, insupportable, et d’autant plus que la plupart de ceux qui y affluaient étaient déjà ivres d’opium ou d’arack, et peut-être de tous les deux. Je m’éloignais de cet endroit quand, en passant devant une baraque en planches construite pour la circonstance, j’aperçus plusieurs chefs de la province qui prenaient aussi leur déjeuner. Le plus âge vint directement à moi, me prit la main et me pria d’une manière civile d’aller m’asseoir auprès d’eux ; je profitai de sa bonne invitation pour trouver un refuge contre les importuns. On me combla d’honnêtetés ainsi que de pâtisseries, de fruits naturels et