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qui luisait dans ces yeux bleus ? N’était-ce pas la bouche du père, plissée d’un bon rire ? Par moments, cela devenait une évocation soudaine, saisissante, comme si les chers morts se fussent levés de la tombe pour apporter dans l’air hanté d’invisibles présences un peu de leur voix, un peu de leurs gestes, de ce qui meurt à jamais avec eux. Puis cela même disparaissait, devenait lointain et vague, comme si les morts n’avaient plus la force de soulever le mystère et le silence, qui pèsent sur eux, pour toujours.

Elle savait toute sorte d’histoires, cette vieille grand’mère, et elle les contait d’une voix chevrotante. C’était tantôt le récit du « soutrè » qui danse dans les étables, et la légende de saint Nicolas, patron de la Lorraine, qui ressuscita trois enfançons hachés dans un saloir.

D’autres fois elle confectionnait d’humbles jouets à la petite fille. Elle lui apprenait à faire des « paumettes » avec des primevères assemblées en boule et retenues par un fil. Elle chantait la vieille chanson venue du passé mystérieux : « Paumette, Burette, va te cacher, dans un p’tit coin. » Des rires s’éveillaient dans le silence de la pièce : sur l’aïeule et l’enfant passait un souffle de joie et de réconfort, un souffle frêle, comme ces feux de souches qui couvent sous la cendre et donnent plus de chaleur que de lumière.

Marthe se plaisait dans la compagnie de cette vieille. Elle lui avait raconté sa liaison avec Pierre, leurs premières entrevues, son silence inexplicable. Une sorte de pudeur l’envahissait, à confier des chagrins d’amour à une personne âgée, qui avait eu ses peines, et autrement poignantes. Malgré tout Marthe revenait à ce sujet