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ramenant, sans en avoir l’air, aux sujets de conversations qu’il préférait. Ou bien ils commentaient ses récits d’un petit clignement d’yeux à l’adresse de la société, comme pour en faire valoir la saveur, toute la verve rare et puissante.

Sacré Poloche, on ne savait pas où il allait chercher tout ça !

Lui ne se faisait pas prier, gardant, au fond de l’ivresse, le vague sentiment de l’admiration qu’il soulevait.

À jeun, il était encore plus drôle. Rien qu’à le voir, on éclatait de rire, tellement il y avait de malice, de goguenardise, de grivoiserie dans cette face d’ivrogne, aux yeux vifs, au nez curieusement illuminé, aux joues tachées de lie de vin et striées de fibrilles rouges, une figure qui était une vraie enseigne de Boit-Sans-Soif.

Il y passait par moments une expression de stupeur muette, reflet des ivresses disparues. La gaieté ne l’abandonnait pas pour ça. Fichtre non ! Il riait tout seul, en dedans, d’un rire silencieux qui creusait des rides dans ses joues, faisait trembler le bout de son nez rouge. À ces moments-là, on faisait silence autour de lui, et on entendait voler les mouches, car on comprenait qu’il allait en dire une bien bonne.

Comme si l’ivresse eût délié sa langue, l’ivresse qui met dans la bouche des hommes un balbutiement pareil à la voix des bêtes, lui, dès qu’il était saoul, devenait d’une loquacité terrible. Il parlait, il parlait tout seul, le jour, la nuit, campé devant les choses inertes, les poteaux télégraphiques et les arbres des chemins, dans des soliloques qui n’en finissaient pas.

Le plus drôle, c’est qu’à ces moments-là, il retrouvait