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corps, parmi tous les paysans déjetés, noueux, pareils à des souches, il avait l’air d’un monsieur de la ville.

Il avait eu une liaison qui avait duré deux ans, pendant son service militaire à Nancy, avec une fille de brasserie, une blonde un peu fanée, aux yeux tristes, qui versait à boire aux clients dans un café voisin de la Pépinière. Elle s’était jetée à sa tête, séduite par sa prestance, heureuse dans son isolement de retrouver un camarade pour parler du pays. La rivière séparait leurs villages ! Les dimanches, ils allaient se promener le long du canal, hantés par la mélancolie que les eaux semblaient charrier, alourdies par le reflet des ormes touffus, entre les rangées de roseaux bruissants. Ils s’entretenaient des choses des champs, de l’état des récoltes, du prix des vins de la dernière cuvée. Ils s’aimaient, retrouvant des souvenirs d’enfance qui leur étaient communs, se comprenant, parce qu’ils avaient des mots, des façons de parler identiques, jetés aux bras l’un de l’autre par cette sensation d’isolement, qui les effarait au fond d’une grande ville. La fille, que sa profession mettait au courant de ces détails, initiait le soldat aux raffinements de la toilette, au luxe à bon marché des odeurs de bazar. Il s’enorgueillissait de l’avoir à son bras, vêtue d’une robe de soie bruissante, et des camarades qui l’avaient rencontré, l’avaient complimenté sur sa conquête. Elle se dévêtait lentement, fredonnant un refrain de café-concert entre ses lèvres serrées pour retenir les épingles de sa coiffure. Elle lui promenait sur les lèvres ses bras nus, sa chair un peu affaissée, luxueusement rehaussée par des odeurs de musc et de patchouli. Elle l’avait quitté comme elle l’avait pris, sans lui donner d’explications,