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Il n’avait plus de goût à rien, retombant à tout moment dans d’incohérentes rêvasseries, échafaudant des projets, des rêves de vie aventureuse, qui s’écroulaient, se reformaient, goûtant une sorte de douceur triste et voluptueuse dans cette agitation de ses pensées. Il aurait voulu s’en aller, voir du pays, s’évader de sa misère. Et la route qui s’allongeait, s’enroulait au flanc des vignobles, révélait sa fuite à l’horizon par l’ondulation des peupliers, dont on n’apercevait que les cimes, exerçait sur lui une étrange fascination.

Il bâillait, ne se décidant pas à sortir.

En même temps, les liens qui l’attachaient aux choses, ces humbles choses contemplées depuis l’enfance, aux meubles familiers, s’étaient rompus. La maison n’était plus emplie de ces petites voix fluettes, cassées, chevrotantes qui parlent du passé avec une exquise douceur. Tout lui paraissait pauvre, muet, froid. La grande cuisine blanchie à la chaux, immense pour ses premiers pas, n’était plus qu’une pièce humide, dont la fraîcheur glacée vous prenait aux épaules. Il regardait avec dédain le petit poêle, dressant sur trois pieds branlants son cylindre de fonte, rongé par la rouille, amenuisé par le feu. Et la pompe de la « pierre à eau » s’égouttant dans une bassine de zinc, un long chantonnement de source montait, dont la mélancolie faisait écho au murmure de sa rêverie désolée.

Dominique le suivait du coin de l’œil. Qu’avait Pierre à se manger les sangs, à se tourmenter comme ça, depuis quelque temps ? D’ordinaire le vieux coupait court à ces rêvasseries, et le faisait sursauter en