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vement que fait Dominique, avec un grincement doux et monotone, comme une plainte.

Soudain, une brume descend dans le val : elle glisse lentement sur les bois, accrochant aux cimes nues des hêtres des lambeaux frissonnants que le vent effiloche ; puis elle se tasse sur l’eau, épaisse et molle comme une ouate ; les berges disparaissent sous ce rideau blanc, qui traîne sur la fuite des eaux, et que des mains invisibles semblent écarter par moments, pour le laisser retomber d’une chute plus lourde.

Cela s’éclaircit, autour de la barque, dans un rayon de quelques mètres. Seuls, quelques lambeaux de brume tournoient à la surface de l’eau, pareils à des fumées ; puis le brouillard s’épaissit, devient un mur, et la coulée du fleuve le pénètre, y glisse, se dérobe et on l’entend bruire vaguement quelque part, au fond de toute cette blancheur.

Dominique pêche toujours.

. . . . . . . . . . . . . . . . . .

Tout à coup, quelque chose approche, une chose vague, perdue dans cette blancheur illimitée ; cela se dessine, pareil à une tour : c’est un grand chaland qui remonte le fleuve à vide, et qui semble voler sur les eaux. On entend les sonnailles de l’attelage, très loin, dans la brume, comme une musique de fantôme, sur l’autre rive que l’on n’aperçoit pas.

En quelques coups d’aviron, Dominique s’est garé. Il était temps : le chaland le frôle de si près, qu’on entend la perche de l’échiquier, éraflant son bordage.

Dominique croit rêver : n’est-ce pas la haute stature de Pierre qui se dresse à la barre du gouvernail, toute droite parmi le flottement insaisissable des brumes ? De