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Ici on n’était pas mécontent. Le temps n’était pas mauvais pour la prairie, et la coupe des regains s’annonçait assez bien. Là, le raisin embrunissait dans les vignes basses, à cause de l’eau qui était tombée. D’autres se félicitaient de leur bonne mine et se portaient des santés. Une grosse plaisanterie campagnarde, une bonne rigolade épanouie éclata soudain comme un pétard, laissant sur son passage une sorte de gêne. Il y eut un silence, puis on recommença, et cela n’eut pas de fin.

Par moments une plainte s’élevait, venant du dehors, une clameur affolante, comme le cri des chiens qui aboient à la mort, sous la lune levante, au fond des fermes perdues dans la campagne. C’était la mère qui, descendue au jardin, pleurait toutes les larmes de son corps.

Et cela était plus triste que tout, ce long appel douloureux, qui montait dans le bruit grandissant des conversations. Et plus triste encore, était ce tumulte recommençant, cette facilité d’indifférence et d’oubli, ce flot de vie qui montait inconscient, insouciant, joyeux, effaçant la douleur récente comme un léger sillon imprimé sur le sable. Mais le vieux garde n’oubliait pas. Fixant sur la nappe ses yeux pâles et pleins d’eau, il s’efforçait machinalement d’effacer avec son doigt la trace persistante d’un pli. Et sa pensée était absente, se perdant dans un chaos de choses lointaines.

Des vieux aussi, tout songeurs, faisaient des retours sur eux-mêmes et sur ceux qu’ils avaient perdus, n’ayant plus en eux ce robuste instinct de la jeunesse qui éloigne les préoccupations lugubres, les idées tristes, la crainte du malheur et de la mort.