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qu’elle ne comprenait pas cette mort, qu’elle n’acceptait pas cet anéantissement d’un être jeune, emporté en pleine vie. Sur l’horreur de la fosse béante, sur les terres amoncelées où peut-être gisaient les débris des siens, elle étendait sa main tremblante, sa main usée de travail, où se gonflaient des veines noueuses, où des muscles saillaient comme des cordes, et ses doigts osseux serrant le goupillon de cuivre, elle oubliait de faire le signe de la croix, absorbée dans une contemplation triste, la tête traversée d’un tourbillon d’idées, qui la dépassaient. Et elle ne trouvait à dire que ce mot, qu’elle répétait avec une obstination lente, y faisant tenir une profondeur inexprimable de pitié et de tristesse : « Oh ! la pauvrette ! la pauvrette !… »

Cela durait si longtemps, qu’une voisine impatientée lui prit le goupillon des mains, et la repoussa doucement parmi l’assistance. Alors elle se décida à s’en aller, serrant dans ses jupes la petite Anna, dans un redoublement de tendresse.

Tout le monde se dispersa. Et il n’y eut plus tout au fond de l’enclos, sur la fosse comblée et les croix vermoulues, que le grand Christ saignant sur son gibet, ouvrant ses bras dans un geste vain, sur la misère du monde.

La table était mise chez les Thiriet dans la grande cuisine du rez-de-chaussée : une grande table comme pour une noce. Car c’est un usage ancien, et qui tient bon, d’inviter les gens des villages éloignés à un repas après chaque enterrement. À vrai dire, ce n’est pas,