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haine féroce, comme s’ils l’avaient volé dans sa poche. La vie des paysans est si pauvre, si dénuée de tout, si constamment tiraillée par des soucis d’argent, que l’intérêt se mêle à tous leurs sentiments, à toutes leurs affections, même les plus sacrées, et leur donne une sorte de grandeur farouche.

Il savait très bien que la vieille pensait comme lui, car lorsqu’ils se privaient, pris d’une rage d’amasser, il l’avait vue souvent se tourner vers sa fille, lui disant avec orgueil qu’elle serait un bon parti, et ils avaient tous les deux la même arrière-pensée, qu’ils n’exprimaient pas : ce bien restant dans leurs familles, ce serait comme s’ils le possédaient encore dans la tombe.

La douleur sainte de ce père pleurant sa fille, se compliquait d’une espèce de honte, celle du commerçant qui a fait faillite. Il voyait très bien leur vie, à tous les deux, restés seuls dans le silence de la maison vide, trop grande pour leur vieillesse taciturne. Ils habiteraient cette maison, ils récolteraient leurs champs, ils se serviraient de leurs meubles, comme s’ils en avaient l’usufruit pour un temps dérisoire et passager, et rien de ce qu’ils avaient aimé, de ce qui avait tenu à leur cœur par tant de fibres secrètes, n’existerait plus pour eux.

Que leur fallait-il, après tout : un petit coin chaud au soleil, contre un mur, entre des tas de fagots pour les garantir du vent aigre. Pour lui son compte était réglé, et il ne se passerait pas un long temps avant qu’il n’allât rejoindre sa fille dans le cimetière, dont les croix blanchissaient au bas de la côte.

La cloche sonna pour la seconde fois.