Page:Moselly - Terres lorraines, 1907.djvu/293

Cette page a été validée par deux contributeurs.

épaules la tiédeur vivante de ce corps, qui était né de son sang. Elle avait peur quand un coup de vent passait, éveillant dans la profondeur des taillis un frissonnement de feuilles sèches, terrifiée par la crainte des grands loups, dont on lui parlait les soirs de veillée, quand elle refusait d’aller dormir. Comme elle était heureuse de courir dans les tranchées herbeuses, de glaner des fleurs, tandis que la forêt lui soufflait au visage l’odeur des fruits sauvages et l’haleine des jeunes taillis. Une fois, n’avaient-ils pas rapporté un nid de merles, qu’elle avait voulu élever. Comme elle riait, en leur donnant la becquée, voyant ces becs jaunes grands ouverts, que rien ne pouvait rassasier !

Et la rêverie du vieux continuait, si nette, si précise dans l’accumulation des menus détails, qu’il avait l’impression qu’elle allait se lever, et marcher dans la chambre.

Mais non, la morte ne bougeait pas. Sur ses traits reposés, flottait toujours la même expression de recueillement et de mystère, comme si elle voulait garder pour elle le grand secret de la tombe.

Alors le vieux Jacques Thiriet la baisa une dernière fois au front et rabattit le drap mortuaire. Puis il sortit à pas lents, car il devait aller dans les villages voisins, prévenir les parents et les inviter aux funérailles. Les pauvres n’ont pas le droit de perdre leur temps, et de s’attarder à vivre longuement leurs douleurs ou leurs joies.

Par les persiennes entre-bâillées, un frisson d’aube charmante, glissant dans la pièce, fit pâlir la flamme tremblante de la bougie. Une lumière rose, tendre,