Page:Moselly - Terres lorraines, 1907.djvu/292

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tous dans la sérénité d’une affection éternelle. Allons donc ! c’était trop beau pour être vrai, toutes ces histoires que racontaient les curés, et, la certitude de l’anéantissement s’imposant à son esprit, quelque chose de brutal, de puissant, d’irrésistible protestait en lui, contre les consolations de la religion, proclamant bien haut la fragilité de ces rêves et la vanité de ces espérances.

Elle était morte et bien morte. Tout était fini pour elle. Il y avait aussi, dans son accablement, une sorte de honte de pauvre homme, qui allait se briser le front à des problèmes insondables.

Sa rêverie continua, lente et douloureuse.

Il se faisait dans sa mémoire des trous, des déchirures subites, et, comme dans une lumière étrange, il revoyait un à un les petits gestes qui lui étaient familiers, il entendait des mots et des sons de voix, et toutes ces choses se prenaient à revivre, comme suscitées du fond du passé par sa douleur.

Elle était toute petite, à peine si elle marchait, qu’il la prenait par la main, et l’emmenait au jardin, dans les allées humides de rosée. C’était une année chaude et des prunes roulaient sur la terre, à demi rongées par les guêpes, et on avait fait un vin fameux aux vendanges. Alors elle levait son doigt d’une façon charmante, pour lui montrer des vols de pigeons tourbillonnants, et elle ne savait dire que ce seul mot : « Papa », ce mot qui éveillait en lui un être nouveau, et faisait surgir dans son cœur un monde inconnu de tendresses. Plus grande, il l’emmenait au bois, dans ses tournées, et il la portait sur son dos, quand elle était lasse, jouissant vaguement de sentir sur ses