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encore, d’échapper aux obsessions lugubres, elle se leva et marchant avec des gestes mécaniques de somnambule, elle gagna la porte de sa chambre, qu’elle ouvrit sans faire de bruit.

Arrivée en haut de l’escalier, elle prêta l’oreille. Rien ne vivait, rien ne bougeait ; seule sa douleur veillait, implacable et féroce. Dans ce silence, elle entendait très bien le tic-tac de l’horloge de campagne qui haletait, s’affolait, se précipitait, comme le battement d’un cœur affolé par l’angoisse.

Les deux vieux à la fin avaient dû s’endormir.

Alors elle gagna la ruelle, qui s’ouvrait entre les jardins, et se jeta dans les champs.

Sous la profondeur illimitée des ténèbres, la campagne s’étendait, noyée de mystère et d’épouvante. Tout cela semblait démesurément agrandi : elle ne reconnaissait rien de ce petit coin si riant, planté de chènevières et de luzernes, où son jeune amour avait grandi. De grands arbres ébauchaient dans le noir leurs formes menaçantes ; un vague instinct de conservation, qui sommeillait en elle, la faisait frissonner, quand elle passait auprès d’eux, car des feuilles s’agitaient soudain, sous des souffles imperceptibles.

Mais elle tressaillit, le front caressé d’un frôlement léger et tiède : c’étaient des chauves-souris, qui sortaient des vieux murs, emplissaient la nuit de leur vol bizarre et saccadé.

Alors, ce fut en elle comme un sursaut de folie. Elle repartit : les feuilles des betteraves s’écrasaient sous ses pas avec un bruit mou, ses pieds glissaient dans la terre des labours, fraîchement défoncés, trempés de rosée. Au fond du val la lune surgit, énorme, san-