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manège n’a pas trop duré. Les premiers temps, je n’ai trop rien dit ; il faut bien que jeunesse se passe : mon coq est lâché, gardez vos poules. Mais voilà que tu t’amouraches d’une gueuse et que tu veux la suivre, comme si un honnête garçon n’avait pas de honte à s’encanailler pareillement !

Il se montait peu à peu, ayant à dire trop de choses qu’il avait dû refouler en lui, au cours des semaines. Il criait si fort, que la voix se cassait dans sa gorge et que des faucheurs, qui coupaient du regain dans un pré, levèrent curieusement la tête.

Pierre ne dit rien, baissa la tête sous l’averse des remontrances, en fils qui a grandi dans le respect de ses parents.

Pourtant sa moustache tremblait ; une lueur mauvaise s’allumait dans ses yeux.

Alors secouant la tête avec une lenteur obstinée, un sang-froid trompeur qui s’efforçait de rester calme, il dit qu’il avait réfléchi, qu’il était décidé et qu’il épouserait la fille.

Du coup, le vieux se fit ironique et méprisant :

— Espèce de Jean-Jean, fit-il à voix basse, mais des femmes comme ça, on n’a qu’à frapper du pied au coin des bornes, pour qu’il en vienne des douzaines.

Il reprit :

— Elle s’entend à enjôler les hommes et elle n’est pas à son coup d’essai, pour sûr. Faut pas être fier tout de même, pour se contenter des restes des chemineaux et des camps volants, qui roulent le long du canal. Épouse-la, si le cœur t’en dit, mon pauvre Pierre : trompé avant, trompé après, t’es bien assez jobard pour faire un cocu.