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Il avait plu tout le jour, mais la pluie avait cessé vers le soir. De grands souffles passaient dans la nuit, de grands souffles froids charriant l’humidité, qui stagnait sur les labours d’automne. Un toit s’égouttant quelque part, au-dessus de sa tête, faisait entendre un clapotement triste. Au-dessus des maisons, la Grande Ourse, le « Chariot de David » allongeait son timon d’étoiles scintillantes.

Tout au fond de la rue, une lueur trouait l’ombre.

Des portes s’ouvraient sur des conversations interrompues ; une procession de lanternes s’avançait par les rues, courait au ras du sol, projetait sur les façades endormies de grands rais de lumière.

Les femmes allaient au veilloir.

Par moment la lumière faisait sortir de la nuit le soc blanc d’une charrue, la silhouette trapue d’un tombereau, mis au rancart. Sur le passage des femmes emmitouflées, des ombres gigantesques couraient le long des murs, montaient jusqu’aux toits, se perdaient dans les étoiles.

— Tiens, on veille chez les Lardonnet, se dit Pierre, je vais pousser jusque-là.

Sous la grande cheminée lorraine, dont le manteau était si élevé qu’un homme aurait pu y entrer tout debout, le veilloir était rassemblé. Un feu couvait dans l’âtre, un de ces feux d’hiver faits pour durer longtemps, et qu’on entretient avec des marcs de raisin et des tas de chénevottes. Des vieilles, au profil anguleux, assises à des rouets, filaient le chanvre, trempaient leurs doigts dans un gobelet d’étain pour mieux saisir le fil, qu’elles tiraient des quenouilles chargées d’étoupe. Des enfants se promenaient, portant haut