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à triompher sans conteste. Il ressentait quelque chose d’analogue à l’angoisse du poisson qui a un hameçon accroché au vif de ses entrailles.

Le lendemain, il alla rôder auprès de la Reine des eaux. Le bateau avait son aspect de tous les jours, dormant dans la même anse tranquille de la rivière. La mère Maquet étendait la lessive sur des cordes, et le vieux marinier, assis à l’avant, pêchait à la ligne dans les remous.

Pierre n’osa pas monter sur le chaland.

Cette nuit-là, il allait retourner à l’auberge, lassé par une attente vaine, quand Thérèse survint tout à coup, et lui raconta qu’elle avait dû s’absenter pendant ces trois jours, sans avoir eu le temps de le prévenir. Une cousine à elle, mariée à un marinier, qui passait dans les environs et qu’elle avait dû aller voir.

Elle parlait longuement, dans sa joie de le retrouver, mais Pierre ne l’écoutait pas. Il ne sentait plus, il ne pensait plus, il ne savait plus qu’une chose, c’est qu’elle était auprès de lui, et qu’il ne la quitterait jamais. La joue appuyée sur sa poitrine, il écoutait les battements précipités de ce cœur qui était plein de lui. Quand il voulut parler, toute son émotion contenue se faisant jour dans un sanglot, il ne put que lui dire :

— Écoute, j’ai trop souffert, je ne te quitterai jamais.

Elle ne répondit pas. Eut-elle dans ses yeux noirs cet éclair de triomphe, cette lueur de contentement qui, chez toutes les femmes, se nuance d’un peu de mépris, en présence de l’homme vaincu ? Elle rêvait à des choses lointaines et sa main parcourait la chevelure de Pierre : il ne savait pas si c’était une prise de possession ou une caresse.