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Elle avait posé sur la table une bouteille de cassis et des verres. Ils trinquèrent cérémonieusement, et les jeunes gens, en approchant leurs verres, échangèrent un sourire. Le père Maquet renifla bruyamment la bonne odeur du liquide, puis l’avala d’un trait et contempla avec dédain son verre vide.

Se tournant vers Pierre, il lui demanda :

— Combien gagnez-vous par an, à faire votre métier de pêcheur ?

Pierre cita un chiffre modeste.

Tout le monde se récria. Était-ce permis qu’on eût si peu de gain, à peiner aussi dur dans la froidure de l’hiver, et les chaleurs de l’été ? Eux du moins n’avaient pas à se plaindre. On leur chargeait leur bateau et ils s’en allaient. Vogue la galiote, à la fin de l’année on avait de l’argent de reste.

Ils avaient là-bas, dans leur pays, une petite maison avec un bout de jardin, au bord de la mer. Quand ils seraient trop vieux, ils s’y retireraient et le père Maquet n’aurait plus rien à faire qu’à fumer sa pipe, en regardant passer les bateaux. Ils s’exprimaient bien mal, étant de pauvres gens. Pourtant leur langage était plein d’une passion si expressive, qu’on croyait voir cette petite maison du pays natal, blottie au creux de la falaise, dans une de ces vallées herbeuses qui s’ouvrent sur un triangle de mer bleue, caressé du vol fuyant des voiles blanches.

Ce n’était pas par méchanceté, et pour rabaisser autrui, qu’ils vantaient ainsi leur aisance, non, mais bien plutôt pour respirer comme un avant-goût de leur bien-être.

Le père Maquet disait :