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Il se mit à chanter. Sa voix montait dans le silence des campagnes, parmi des chants d’oiseaux et la fraîcheur du jour.

Au delà des troncs vermoulus des vieux saules, la prairie trempée de rosée s’éveillait sous un frissonnement de lumière matinale. Des brumes, flottant dans ses profondeurs, coulaient comme un autre fleuve immatériel, ondoyant, aérien.

La barque descendait le courant et Pierre, de temps à autre, donnait un coup d’aviron pour la maintenir dans sa route.

Il jouissait de cette marche rapide.

La rivière autour de lui avait aussi cet aspect de jeunesse inaltérable, répandu sur les choses. Par places elle s’étalait sur des sables et le fond de la barque raclait doucement le gravier. Dans l’ombre mouvante projetée par les saules, de grands chevaines dormaient à la surface attiédie, faisant sur l’eau des taches noires.

Il approcha de l’endroit où les chalands étaient amarrés. Accoudée sur le bordage d’avant, une femme le regardait venir. Les yeux clignotant dans l’immense réverbération de soleil qui montait des eaux, son corps souple et mince rasé sur le pont dans une attitude féline, elle avait l’air de guetter une proie.

La barque frôla le chaland de si près que Pierre aurait pu lui tendre la main. Il la voyait très bien maintenant.

C’était une belle fille d’une vingtaine d’années, une de ces brunes au teint mat, dont tout le corps pétri de volupté éveille chez les hommes un désir, une obsession qui les suit longtemps, lancinante et tenace. Sa