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La Moselle aussi avait changé d’aspect. Ce n’était plus la rivière qui coulait en aval, tournoyante et rapide, brisée sur des barrages dont la grande voix emplissait le val. Elle s’étalait avec une lenteur aisée sur des grèves blanches, bordées d’oseraies et de saules où le vent creusait des frissons d’argent. Par places aussi, elle devenait un canal régulier, encaissé de talus, où des sonnailles frémissaient sans cesse sous les jeunes ormes, le long des chemins de halage.

Vers Pont-Saint-Vincent le paysage s’animait d’une vie trépidante, d’une fièvre de mouvement et d’industrie. Des cheminées d’usine, des hauts-fourneaux, dressés comme des tours, salissaient le ciel de leurs panaches de fumée, et des amas de scories formaient des remblais obstruant le fond de la vallée.

Le vieux Dominique, qui paraissait absorbé dans une rêverie triste, en sortit pour dire ces mots :

— V’là bel âge, mon fils, que je suis venu ici pour la première fois avec mon père. C’est ça qui ne nous rajeunit pas !

Ayant remis sa hotte à l’épaule, il repartit du même pas mesuré, sentant sa charge alourdie de tout le poids des souvenirs.

Par des sentiers en lacets, ils rejoignirent la grand’route, qui s’allongeait, poudreuse et toute blanche.

Le crépuscule tombait.

Maintenant qu’ils approchaient du gîte, ils entendaient mieux les bruits étranges et profonds dont la campagne était vibrante. Le choc sourd des marteaux-pilons, revenant par intervalles, ébranlait les monts dans leurs assises lointaines. Des halètements de machines, pareils à la respiration d’une bête géante,