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pris son cœur, ces soirs de mai, encore si froids dans ces pays du Nord, ces soirs où l’odeur des jacinthes montait des terres fraîchement remuées dans les jardins ! Une grande clarté blanche restait suspendue dans tout le ciel. La bande joyeuse galopait, galopait par les rues sombres, et des garçons de ferme, allant soigner le bétail, pénétraient dans les étables chaudes, portant à bout de bras des lanternes, dont les carreaux étaient de corne par crainte des incendies.

Hélas ! coureur de filles, ce Pierre !

Elle était si désolée, si meurtrie, par ce grand amour qui avait envahi tout son être, par cette conviction qui se faisait chaque jour plus accablante, qu’elle serait impuissante à le garder pour elle, rien que pour elle. Il fallait le voir ce Pierre Noel, le dimanche matin quand il traversait le village pour se rendre à la grand’messe. Il avait une façon à lui de prendre un air crâne, de rejeter son chapeau en arrière, de marcher les mains dans les poches, faraud, les épaules balancées. Il portait des cravates voyantes, une blouse bien repassée dont il laissait le col entr’ouvert, il ramenait sur son front ses boucles soigneusement arrangées. Et il regardait les filles sous le nez avec une telle effronterie que les plus délurées baissaient les yeux ; et on chuchotait sur son compte toutes sortes d’histoires.

Ah, si Marthe avait su faire comme les autres, les rieuses et les coquettes, qui s’offrent d’un regard et se reprennent l’instant d’après, qui par leurs manèges et leurs mines friandes, appâtent les hommes et les retiennent ! Mais non, elle ne savait que rester dans son coin, heureuse d’un rien, d’un sourire jeté au passage, résignée à souffrir, gardant l’espoir inavoué