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faisant briller dans les profondeurs de l’eau noire leur dos de bronze vert, leur ventre blanc, leurs nageoires avivées de rouge vif.

Par places s’étendaient aussi de grands tapis d’herbes aquatiques, effleurés d’un semis de fleurettes, pareilles à des marguerites des prés, où venaient se poser des libellules frémissantes. Sous les saules pourris, des coins d’eau s’ouvraient, profonds et calmes, rayés par la danse grêle des cyprins.

Marthe regardait toutes ces choses nouvelles et, parfois, elle se rejetait en arrière, dans un mouvement instinctif, prise de ce vertige fuyant qui monte des eaux marécageuses, ce vertige qui nous fait redouter à la fois et désirer descendre dans ces étendues, où s’ouvrent des architectures étranges, où poussent des végétations bizarres, où fuient des lointains de cristal bleuâtre que nul regard d’homme n’a contemplés.

Et c’était en elle une sensation de terreur, aiguë, affolante, quand elle songeait aux longues herbes qui vous engluent, vous nouent aux poignets, aux jambes et au cou leurs lanières visqueuses et vous entraînent au fond de l’eau, comme des pieuvres.

Elle se releva et resta assise sur le banc. Pierre, qui ne prenait rien, vint se mettre à côté d’elle.

Bercée par le balancement de la barque qui se penchait sur le bordage, chaque fois que Dominique ramenait à lui son aviron, sentant confusément le corps de Pierre qui la pénétrait de sa tiédeur, elle s’abîma dans un demi-sommeil, inconscient et léger, tandis que sur ses lèvres errait un vague sourire.

Sa joie était plus abondante et plus silencieuse que ces eaux mortes, où traînaient des reflets lumineux,