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qui n’était pas crédule. Et puis, les femmes qu’il avait fréquentées ne l’avaient guère préparé à ces coups de théâtre. On se lâchait, comme on se prenait, et tout était dit. Et soudain il se sentait attiré, fasciné par la profondeur de cet amour nouveau, plus fort que l’instinct de la vie, et devant cette révélation, il frissonnait, gagné par une sorte de vertige.

Et songeant qu’il était aimé de cette façon, un immense orgueil l’envahit.

Il respirait fortement. L’arome miellé qui montait des prés en fleurs, cette senteur forte fouettée par la pluie, le grisait comme un vin.

Une vie prodigieuse palpitait vaguement dans l’ombre. À chaque instant des vols muets d’oiseaux effleuraient les tiges des hautes graminées. Une clarté tremblante qui d’instant en instant se faisait plus vive, se posait sur les ombelles des reines des prés, chargées d’eau : une caille rappela au creux d’un sillon. Et quand la lune jaillit des entrailles de la terre, énorme et toute blanche, sa lueur oblique coula sur les vignes avec la douceur d’un regard.

Là-bas tout au fond du val, une brume molle, comme une ouate floconneuse, se levait de la rivière, et s’enchevêtrait aux branches des peupliers, en lambeaux que le vent éparpillait.

Il continua sa rêverie.

À quoi bon ces regrets, ce désir d’une autre existence ? Le bonheur était là. Il n’avait qu’à étendre la main pour le saisir. Voir du pays, tenter autre chose ! Est-ce que la vie n’était pas dure partout aux pauvres diables ! Pour réussir, il fallait de l’argent, un capital qui permettait de déjouer la chance, d’espérer, d’at-