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Marie-Anne, dans le petit cimetière de campagne dont les croix s’effritent sous les hâles desséchants, sous le ruissellement des pluies d’automne.

Pierre, plus jeune, regrettait simplement le bon gîte, la pipe qu’on fume au coin de l’âtre ; une vision obsédante ramenait devant ses yeux la « taque » de fonte dressée dans la cheminée, une plaque venue des temps anciens, couverte de dessins qu’on ne comprenait plus. La suie qui la revêtait s’enflammait parfois dans le feu clair des bourrées, et des rougeoiements y couraient, pareils à des chenilles lumineuses.

Le soir tombait sur les eaux livides. Cela vint lentement, doucement, ce crépuscule blême qui terminait le jour, comme il avait commencé, le noyant d’une clarté indécise. Une coulée d’ombre envahissait les champs, la rivière, la prairie inondée. La houlée furieuse du vent se déchaîna subitement. Il n’y eut plus rien que ces deux immensités mouvantes, la fuite des eaux sous le glissement de la nuit.

C’était la même vie pendant toute l’année, chaque jour ramenant le même labeur persévérant et vain.

Ces pêcheurs étaient pareils aux rocs calcaires dont leur visage avait la couleur terne et rude. À force de se pencher sur la rivière, leur regard usé avait l’éclat fondu, la transparence des eaux qui coulent.

Jamais ils n’auraient imaginé une existence différente, une façon moins pénible de gagner leur vie. Ils pêchaient comme leurs pères, pris par cette étreinte de la routine qui emporte les générations rustiques