Page:Moselly - Terres lorraines, 1907.djvu/16

Cette page a été validée par deux contributeurs.

grouillait, tournoyait, happait les menus débris emportés au fil de l’eau.

Pierre, debout à l’avant, plongeait dans la rivière le large filet, tendu sur deux bâtons en croix, qu’on appelle un échiquier. Puis il le relevait d’un vigoureux tour de reins, campé solidement sur ses jambes écartées au fond de la nacelle, qui vacillait à chacun de ses mouvements.

Les ablettes s’entassaient dans un coin, les ventres blancs jetant des lueurs pâles.

Un rude métier, cette pêche. Rentrés au logis, les deux hommes raclaient les poissons, mettant de côté les écailles qui luisaient comme des piécettes d’argent. Ils en remplissaient une grande boîte de fer-blanc, qu’ils allaient tous les quinze jours expédier à la poste de la ville. Ils savaient vaguement qu’on envoyait la chose à Paris pour fabriquer des perles fausses.

La pluie tombait toujours : on aurait pu tordre leurs vêtements. Une vapeur d’eau montait de leurs épaules, de leurs jambes, de leurs bras. Leurs mains, cinglées par l’averse, s’engourdissaient, devenaient si maladroites qu’ils s’empêtraient dans les besognes les plus simples.

Parfois ils pâlissaient, tout près de défaillir. Mais ils ne se plaignaient pas, retenus par une sorte de pudeur, craignant de passer pour des femmelettes. Des pensées tristes, de lentes obsessions tournoyaient invinciblement dans leurs cerveaux. Le vieux Dominique songeait à la vie qui se faisait plus âpre chaque jour. On trimait toute sa chienne de vie pour amasser quatre sous et on n’y arrivait pas. Mais il finirait bien par se reposer ! On le coucherait auprès de sa femme, la