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tenait collée à son flanc, accentuait encore la maladresse de ses gestes.

Il avait vieilli là, dans l’ombre de ce clocher qui tournait sur quelques arpents de terre. Toute sa vie avait tenu dans le cercle étroit des collines. Qu’y avait-il derrière les côtes, comme on dit ? Il n’en savait rien. La Meuse, les Vosges, la Franche-Comté étaient pour lui des pays aussi lointains, aussi ignorés que le Japon ou l’Amérique. Les temps avaient passé, des inventions nouvelles avaient surgi, qui bouleversaient le vieux monde. Il n’en avait rien su. Ç’avait été un événement dans sa vie le jour où il avait vu passer un train. Mais jamais il n’avait mis le pied dans ces maisons roulantes.

Tout le passé du terroir revivait en lui, mystérieux et profond. Il n’avait pas eu le temps d’oublier dans le tumulte des hommes et des choses qui passent. Pour désigner les travaux des champs et les instruments agricoles, il employait des termes patois qu’on ne comprenait plus, et dont se moquaient les jeunes gens. Il disait un « seillon » pour une faucille et parlait avec admiration, comme s’il l’eût regretté, du temps où on se levait à deux heures du matin, en hiver, pour battre l’avoine au fléau, car on ne connaissait pas les mécaniques. Il savait aussi toutes sortes de contes, des contes venus des temps anciens, d’une saveur agreste et sauvage, où l’esprit de la race avait accumulé des trésors d’observation, où revivait un peu le terroir lorrain, les chaumes grisâtres lavés par la pluie, les friches plantées d’arbres morts, les vignobles rocailleux où se tordent les souches.

S’adressant au gringalet, et clignant des yeux d’un