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Un petit estaminet près de l’église, tenu par une vieille femme impotente, et qu’on ne fréquentait guère. De très jeunes garçons s’y rencontraient avec des vieux qui n’avaient plus de famille. On y était comme chez soi, et la vieille ne pouvant plus remuer, on se servait soi-même.

Pour entrer dans la salle du fond donnant sur les jardins, il fallait traverser la cuisine encombrée de vaisselle. Le plancher, effondré par endroits, laissait voir le sol, et, sous la clarté fumeuse d’un quinquet de cuivre, un antique billard s’étalait, plus rapetassé qu’une loque de pauvre, où les billes écornées roulaient à grand bruit.

Ils étaient bien une douzaine, ce soir-là, autour de la table encombrée de bouteilles et de petits verres. La clarté, tombant d’aplomb sur leurs traits, fouillait leurs masques, y creusait des ombres inquiétantes, et le long des murs blanchis à la chaux, flottaient des silhouettes grimaçantes.

La fenêtre était grande ouverte sur la nuit, et la lumière vacillante du quinquet s’y perdait tout de suite, tombait comme dans un trou. Le temps était à l’orage : il faisait une chaleur lourde. Quelques coups de tonnerre grondèrent dans le lointain ; des éclairs sillonnèrent la nuit, coupant de lueurs bleuâtres les ténèbres, faisant surgir les toits de tuile des réduits à porc, les pruniers immobiles au fond des jardins, et tout près, un poulailler entouré d’un treillage en fil de fer, où des poules hérissées dormaient sur leur perchoir, pareilles à des boules de plume. Puis une rafale passa, et de larges gouttes de pluie sonnèrent sur la terre.